De Chinon à L'Île-Bouchard
Du temps de Rabelais, comme maintenant, deux routes, sur la rive droite, permettaient d’aller de Chinon à L’Île-Bouchard (aujourd’hui D 21 et D 8) ; par contre sur la rive gauche, desservie aujourd’hui par la D 749, il n’y avait pas de route directe.
Le long de la D 21.
Cette route passe à l’Olive (commune de Chinon), à Cravant-les-Coteaux (Narçay et le Vieux-Bourg) ainsi qu’à Panzoult (Le Croulay).
À l’Olive (Réf. A-1), où des fragments de céramique sigillée datant du 1er au 3ème s. ainsi qu’une fibule du 1er s. ont été retrouvés, peu après le pont de Bessé, la Grange-Liénard, appartenait vraisemblablement à la famille Liénard de l’Olive, dont le membre le plus connu est Charles Liénard de l’Olive, qui colonisa la Guadeloupe. Ce hameau fait maintenant partie de Chinon.
L'Olive : la Grange-Liénard (photo PMD août 2009)
À Narçay (Réf. A-1 et A-47), (commune actuelle de Cravant-les-Coteaux) il y avait une fontaine qui entendit Gargantua crier depuis la porte de Bessé (voir article précédent) ; peut-être était-elle à l’emplacement du lavoir actuel, non loin de la grand-route, à droite ?
Lavoir de Narçay (photo PMD mai 2013)
Le vieux bourg de Cravant (Réf. A-47) est maintenant à l’écart de la D 21, près de laquelle le village a été déplacé en 1863 en prenant le nom de Cravant-les-Coteaux. Dans ce vieux bourg se trouve la très belle église Saint Léger, dont certaines parties remontent au 9ème siècle et dans laquelle on peut voir des sarcophages mérovingiens.
Cravant : église Saint-Léger (photo PMD mai 2013)
À Panzoult (Réf. A-47), dont le chanoine était connu pour son nez « tout boutonné et brodé de gueule » (Réf. B-1), le Croulay abrite, en face du moulin Girault (15ème siècle) la maison dite de la Sibylle, que Panurge va consulter dans le Tiers Livre.
Le Croulay (photo PMD sept. 2009)
J’ai pu visiter cette « maison de la prophétesse » (Réf. C-17) grâce à l’obligeance de M. Jean Baudry, père du propriétaire actuel qui est le viticulteur Christophe Baudry. C’est un lieu magnifique, situé au-dessus de l’étang Girault, où un moulin fut construit au 15ème s. par des moines, qui habitaient dans un hameau troglodytique composé de plusieurs grottes, dont certaines sont décorées de visages grossièrement sculptés ; dans l’une de ces grottes, un escalier intérieur creusé dans le rocher permet d’accéder à la « chaumière, mal bâtie, mal meublée, toute enfumée » (Réf. C-17).
Ne sachant pas s’il doit se marier ou non, Panurge vient consulter cette « vielle (qui) était mal en point, mal vêtue, mal nourrie, édentée (… et …qui) faisait une soupe au chou avec une couenne de lard jaune et un vieil os à moelle. (…) Panurge (…) avec une profonde révérence, lui passa à l’annulaire une bien belle bague en or dans laquelle était magnifiquement enchâssée une crapaudine de Beuxes » ; , (voir https://turonensis.fr/categories/rabelais-en-touraine/05-la-roche-clermault). Mais la vieille rend un oracle obscur et « sur le pas de sa porte (elle) se retroussa (…) et leur montra son cul ». (Réf. C-17)
Le Croulay : intérieur de la maison dite de La Sibylle (photo PMD sept 2009)
Selon un certain Bouchereau, qui était peut-être un magistrat chinonais de la fin du 16ème siècle et dont les notes manuscrites sont conservées à la Bibliothèque Nationale, c’est en venant au prieuré voisin de Sainte-Madeleine (qui dépendait de l’abbaye de Seuilly) que Rabelais aurait rencontré « une femme qui donnait des herbes pour guérir de la fièvre », dont il aurait fait la Sibylle. (Voir le Bulletin des Amis de Rabelais III 8 1979 (pages 343/344).
Le long de la D 8
Cette route, qui longe la rive droite de la Vienne, passe par le hameau de Briançon (commune de Cravant-les-Coteaux) dont le dolmen est le plus important de l’Indre-et-Loire ; un peu avant Briançon, sur la droite se trouvent le manoir des Bourdes (Réf. A-47) et un peu après, sur la gauche, le manoir de la Bellonière (15ème siècle, remanié au 17ème) dont le propriétaire « Monsieur de La Bellonière » avait promis un faucon à frère Jean (Réf. A-39.
Cravant : Les Bourdes (photo PMD mai 2013)
Ce manoir du 15ème siècle, remanié au 18ème, dans lequel on y a trouvé une lampe à huile, du 5ème siècle après JC, d’inspiration chrétienne, provenant de Tunisie, appartenait du temps de Rabelais, à René du Puy, seigneur de Basché (voir-ci-après).
Cravant : ancien manoir de la Bellonnière (photo André Montoux)
Le long de la rive gauche
À l’époque de Rabelais, plusieurs voies permettaient, sur la rive gauche, d’aller vers L’Île-Bouchard.
Ligré : manoir à Vau Breton (photo PMD sept 2016)
L’une passait par Ligré (Réf. A-51), via Vau Breton (Réf. A-47), dont les petits enfants se font voler une « vessie de porc » par Panurge (Réf. C-46) ; le nom de ce hameau (qui est sur la commune de Ligré) évoque sans doute ce fameux « vin breton » qui, selon Rabelais ne murît pas en Bretagne mais « dans le bon pays de Véron » (Réf. A-13) ; ce nom de « breton » viendrait, dit-on, des bateliers bretons qui, à partir du 11ème siècle, assuraient le transport du vin sur la Loire.
Ligré : ancien prieuré des Roches-Saint-Paul (photo PMD sept. 2016)
Peu après Vau Breton, on arrive aux Roches Saint Paul (Réf. A-47), dont le prieuré, fondé par l’abbaye de Cormery, était dirigé en 1550, par Eustache Du Bellay (mort en 1565), cousin du cardinal Jean Du Bellay (1498/1560), le protecteur de Rabelais et de Joachim.
Dans A-47, Rabelais cite Segré parmi les nombreux lieux voisins de la Devinière, qui envoient des ambassadeurs à Grandgousier, mais il est peu probable qu’il s’agisse du Segré qui se trouve dans le Maine-et-Loire, entre Angers et Rennes et sans doute faut-il lire Ligré.
Plus loin, sur la droite, le château du Rivau (13ème s.), commune de Lémeré, mérite d’être visité, surtout pour ses jardins, très originaux ; il appartint à Pierre de Beauvau (mort en 1453), chambellan de Charles VII, puis à François de Beauvau, qui fut tué à la bataille de Pavie en 1525. C’est ce château que Gargantua donne à Tolmère pour le remercier de son aide (Réf. A-51).
Lémeré : château du Rivau (photo PMD sept. 2016)
Au sud du Rivau, sur la commune d’Assay, le château de Basché (voir ci-dessus), d’où est originaire le jeune page « nommé Anagnostes » (Réf. A-23), a pour seigneur un « homme courageux, vertueux, magnanime » qui est en butte aux attaques du « gras prieur de Saint-Louand » (Réf. D-12, D-13, D-14 et D-15). Ce seigneur était René Du Puy (cité en 1507), dont la fille, Louise Du Puy, morte le 12 avril 1583, fut inhumée dans la crypte de l'église de Rivière.
Rivière : église N. D. (photo PMD mai 2009)
Une autre route traversait le village de Rivière (Réf. A-47 et A-49), qui est connu depuis l’antiquité car la voie romaine qui allait de Chinon à Loudun y franchissait la Vienne à gué (voir https://turonensis.fr/categories/voies-gallo-romaines-chez-les-turons/les-voies-longeant-la-vienne-voies-4-1-et-4-2). La très belle église Notre-Dame (11ème s), consacrée à Dame de Rivière, qui était souvent invoquée (Réf. A-27 et D-15), a remplacé une église antérieure, qui aurait été construite par Saint Martin au 4ème siècle. Sous le porche, une peinture murale (11ème s.) évoque la résurrection de Lazare.
Rivière : crypte de l'église (photo PMD sept. 2009)
La crypte de cette église abrite les gisants (16ème s.) des seigneurs de Basché (voir ci-dessus) ;
L’Île-Bouchard
Quel que soit le chemin emprunté, on arrive d’un côté ou de l’autre de L’Île-Bouchard ou L’Isle Bouchard (Insula Buchardi) du temps de Rabelais (Réf. A-47 et 49) ; c’est là que réside Chicanous (Réf. D-12 et 15). Un château (dont il ne reste rien) fut élevé dans l’île au 9ème siècle par un certain Bouchard et la baronnie de L’Isle Bouchard resta dans la famille des Bouchard jusqu’au 15ème siècle ; elle passa ensuite, par héritage, aux La Trémouille qui la vendirent à Richelieu en 1629 ; jusqu’alors L’Île-Bouchard avait été une ville importante ; André Du Chesne (1584-1640), surnommé le père de l’histoire de France y naquit ; mais Richelieu entreprit de ruiner la ville pour assurer l’essor de sa propre ville, qu’il avait édifiée non loin de là.
L'Île-Bouchard : église Saint-Gilles (photo PMD mai 2013)
Il y avait au moyen-âge quatre églises (et quatre paroisses) : Saint-Pierre en l’Isle (dont il ne reste rien), Saint-Gilles (11ème siècle) sur la rive droite, Saint-Léonard (11ème siècle) et Saint-Maurice (15ème siècle) sur la rive gauche ; il y eut ensuite, à la Révolution, deux communes : Saint-Gilles et Saint-Maurice, qui furent réunies en 1832. Des apparitions de la Vierge à quatre petites filles auraient eu lieu dans l’église Saint-Gilles en décembre 1947.
L'Île-Bouchard : église Saint-Léonard (photo PMD mai 2013)
Rabelais situe « près de L’Isle-Bouchard » (Réf. C-25) la demeure du devin Herr Trippa que Panurge vient consulter et avec qui il se dispute copieusement, lui disant notamment « quand tous les cocus se rassembleront, tu porteras la bannière » ; il s’agit vraisemblablement du philosophe allemand Heinrich Cornelius Agrippa von Nettesheim (1486/1535) qui enseigna à l’université de Dôle en 1512 et qui n’a sans doute jamais mis les pieds à l’Île-Bouchard. Ce dernier fut inquiété pour sorcellerie à cause d'un grand chien noir qui l'accompagnait.
Agrippa est notamment l’auteur d’une Déclamation sur la noblesse et la prééminence du sexe féminin (1529) dans laquelle il proclame la supériorité théologique et morale des femmes, ce qui explique, peut-être, pourquoi Rabelais le prend à parti dans le Tiers Livre, cette polémique s’inscrivant dans « la querelle des femmes » qui anima les milieux humanistes au 16ème siècle. Rabelais aurait situé la maison de Herr Trippa près de L’Île-Bouchard parce que, selon une tradition locale, cette région était réputée fertile en sorciers ! (Voir le Bulletin des Amis de Rabelais III 8 1979 (page 342).
Crissay-sur-Manse : le château (photo PMD mai 2013)
Au-delà de L’Île-Bouchard, dans la vallée de la Manse, se cachent deux très beaux villages : Crissay-sur-Manse, dont Rabelais évoque « le gros Christian » (Réf. C-42) et Saint-Épain, où était joué « une diablerie (farce dans laquelle les diables étaient mis en scène), aussi célèbre que celles d’Angers ou de Poitiers » (Réf. D-13). Ces pièces de théâtre étaient représentées, sur le côté de l’église construite au 12ème siècle, dans la grand’cour, dominée par une gargouille, qui, dit-on, représente un des curés de Saint-Épain.
Saint épain : la grand'cour (photo PMD sept. 2010)