La seigneurie et le château
Ancienne cité gallo-romaine (voir Histoire, ci-dessus), Nogastrum devint, à la fin du 10ème siècle, une châtellenie (terme désignant une nouvelle circonscription administrative créée à la suite de la défaillance du pouvoir royal) appelée Noastrum ; La France, en effet, n’existe pas encore et le « roi des Francs » n’a que peu d’autorité sur ses vassaux, qui se font continuellement la guerre et qui ont donc besoin de se fortifier. Ce roi est alors Robert II, dit le Pieux, qui a succédé à son père Hugues Capet en 996.
Le premier seigneur connu de cette châtellenie est Guennon (abréviation de Ganelon), mentionné dans les Chroniques des comtes d’Anjou, écrites au 12ème siècle par le moine Jean de Marmoutier, où il est dit (chapitre 48) qu’au début du 11ème siècle, le bouillant comte d’Anjou Foulques Nerra (965-1040), après avoir pris L’Île-Bouchard, retourna à Loches « per terram Guennonis, qui dominus Noastri erat » (en traversant le territoire de Guennon, qui était seigneur de Nouâtre). Un peu plus loin, le chroniqueur indique qu’après avoir pris Saumur (en 1020), Foulques Nerra revint vers Chinon « inter Noastrum et Insulam Bucardi ponte facto de navibus, Vigennam transit et Montem Basonis obsidet » (traversa la Vienne entre Nouâtre et L’Île-Bouchard, sur un pont de bateaux, et assiégea Montbazon).
Situation sur le cadastre napoléonien
Guennon devint ensuite le vassal de Foulques Nerra et les comtes d’Anjou, puis de Vendôme, restèrent jusqu’au 12ème siècle les suzerains du fief de Nouâtre, dont le seigneur fut, après la mort de Guennon, son fils Marric, dit de Nouâtre.
La charte 36, de 1026, du cartulaire de l’abbaye de Cormery nous apprend que ce Marric était l’ami de Richard, abbé de Cormery de 1007 à 1026, qu’il était aussi propriétaire du domaine de Montchenin, dans la paroisse de Saint-Branchs, et qu’il donna ce fief à l’abbaye de Cormery (l’abbaye de Noyers n’existait pas encore) pour être enterré dans l’enceinte de l’abbaye.
Il était aussi allié à un puissant personnage, appelé Gautier de Tours (cité en 989 et mort vers 1025), intendant pour la Touraine du comte de Blois et trésorier de l’abbaye Saint-Martin de Tours, dont la petite fille, Angèle de Tours, fut l'épouse de Malran de Nouâtre, devenu seigneur de Nouâtre à la mort de son père (vers 1026), après la mort de son père, Marric.
Ce Malran est cité dans la première charte, de 1030, du cartulaire de l’abbaye de Noyers, car c’est lui qui donna, « avec l’assentiment du comte Foulques et de son fils Geoffroy » une église située « dans le village de Noyers » afin qu’une abbaye puisse y être fondée. Son épouse, Engele, fut enterrée dans l’enceinte de cette abbaye (charte 130 du cartulaire de Noyers) et l’un de ses frères, Archambault, dit le Long, possédait le fief de la Mothe, qui, avec le château de Nouâtre, contrôlait le gué sur la Vienne ; ce dernier fut le père d’Odile de Nouâtre et celle-ci épousa Yvon de Tavant, qui donna son nom à la Mothe-Yvon, ancien nom du château de la Motte (aujourd’hui sur la commune de Marcilly-sur-Vienne) (voir article ci-après).
Malran eut six enfants et l’aîné, Ganelon, devint seigneur de Nouâtre ; ce dernier donna à l’abbaye de Noyers (voir charte 130, de 1085) le bourg de Noyers ainsi qu’une chapelle qui se trouvait « en dehors de l’enceinte de Nouâtre ».
Ganelon mourut vers 1070, sans enfant vivant, et fut enterré dans l’abbatiale de Noyers, à côté de sa mère Engèle ; son frère Cléopas devint alors seigneur de Nouâtre. Il est un peu surprenant de voir que ce dernier était propriétaire d’une forêt qui portait son nom (Cleopas de Noviocastro) située à Bernay-en-Champagne (Sarthe) et que son fils Hubert était moine dans l’abbaye Saint-Vincent du Mans (voir charte 102 du cartulaire de cette abbaye). Mais ce fils était mort quand Cléopas lui-même mourut.
Parmi les autres enfants de Malran et d’Engèle, une fille : Hersende de Nouâtre (cité en 1042), est dite « dame de Marmande », ce qui peut signifier que le fief de Marmande (aujourd’hui sur la commune de Vellèches, dans la Vienne) appartenait aux seigneurs de Nouâtre et fut donné comme dot à Hersende lorsqu’elle épousa Abélard Bardon « seigneur de Cravant » ; ceux-ci furent les parents de Zacharie de Marmande, le turbulent et belliqueux seigneur présent dans de nombreuses chartes du cartulaire de Noyers ainsi que de Sophise de Marmande, laquelle épousa d’abord Bernard, dit Queue-de-vache, puis son cousin Adraud de Nouâtre.
Photo PMD oct. 2015
Selon les lois féodales, comme Cléopas était mort sans enfant vivant, la seigneurie revint au suzerain, qui était alors Guy de Nevers, qualifié de « seigneur de Nouâtre » dans la charte 50, de 1067. En effet, après Foulques Nerra (mort en 1040) le suzerain de Nouâtre fut son fils Geoffroy Martel (mort en 1060), comte d’Anjou, de Vendôme et de Tours, puis son petit-fils Foulques de Nevers, dit l’Oison (mort en 1066), comte de Vendôme ; quand ce dernier mourut, son fils Bouchard III de Nevers était encore un enfant et la tutelle fut exercée par son cousin Guy de Nevers ; quand Bouchard III devint majeur, en 1075, Guy de Nevers devint moine à l’abbaye de Noyers, où il mourut en 1084.
Quant aux biens et possessions de Cléopas, ils furent partagés entre ses neveux, notamment Geoffroy de Sonzay, époux de Pétronille (nièce de Ganelon), Ervisus Cabruns ou Chabron, époux d’Agathe (autre nièce de Ganelon) et Adraud (neveu de Ganelon), qui avait épousé en secondes noces sa cousine Sophise de Marmande, fille d’Hersende de Nouâtre.
Ervisus Cabruns, qui était par ailleurs seigneur du petit fief d’Azay-le-chétif (ancien nom d’Azay-sur-Indre) est très présent dans le cartulaire de l’abbaye de Noyers, à qui il fit de nombreux dons, avant de s’y retirer en tant que moine. Un de ses fils, nommé Gosbert Cabruns, fut l’époux de Dionysia, fille d’Hugues I de Sainte-Maure et participa à la première croisade (1096-1099).
Un autre héritier est très présent dans le cartulaire de Noyers, car lui-aussi fit de très nombreux dons à cette abbaye : il s’agit de Simon de Nouâtre, fils d’Adraud et de Sophise ; il avait épousé Audeburge, dit Borille, fille d’Hubert Persil « noble de Montbazon », qui devint moine à Noyers et ils eurent de nombreux enfants, dont un appelé Hubert Persil comme son grand-père, époux d’Adélaïde, dite Blanche-Fleur.
Photo PMD avril 2016 (l'église est en cours de restauration)
Bouchard III de Nevers mourut sans enfant en 1084 et la seigneurie de Nouâtre revint à son beau-frère, Geoffroy II de Vendôme, époux d’Euphrosine de Nevers, fille de Foulques de Nevers mais, on ne sait exactement comment, sans doute à la suite d’une de ces fréquentes guerres locales, ce dernier perdit cette seigneurie et, dans la charte 332, de 1105, Hugues III de Sainte-Maure (mort vers 1159), petit-fils d’Hugues I, est qualifié de « seigneur de Sainte-Maure et de Nouâtre ». Ce dernier était le fils de Goscelin de Sainte-Maure (fils d’Hugues I) et de Falcabella, qui s’étaient mariés « dans l’atrium de l’église Saint-Réverent » (voir charte 296). Après sa mort, il fut enterré à Noyers, à côté des nombreux membres de sa famille qui y étaient déjà.
Dès lors l’histoire de la seigneurie de Nouâtre se confond avec celle de la seigneurie de Sainte-Maure.
Au 15ème siècle, la seigneurie appartenait à Jean du Fou, seigneur de Rostrenen et Rustéphan (dans le Finistère), capitaine de Cherbourg, sénéchal (gouverneur) de Bretagne, chambellan du roi Louis XI, bailli (gouverneur) de Touraine de 1480 à 1483 puis de 1489 à sa mort, du fait de son épouse Jeanne de la Rochefoucauld.
Tour en 1898 photo Georges Lemaitre (cp Philippe Gautron)
Jean du Fou obtint de Louis XI le droit de guet et de garde sur les habitants de Nouâtre « à cause que les dits chastel et place fort de Nouastre sont de présents en bon état et réparation pour le retrait et reffuge des habitans de la chastellenie » ; puis, en 1469, il eut l’autorisation d’établir à Nouâtre un marché tous les lundis et quatre foires par an : l’une la veille de la fête de Saint Révérend (donc le 11 septembre), une autre le jour de la fête de Saint Brice (le 13 novembre), la troisième le second jeudi de Carême et la dernière le jour de la fête de Saint Jean-Porte-Latine (le 6 mai). Le roi Louis XI lui rendit visite dans son château de Nouâtre le 8 juillet 1471.
Par la suite le château fut laissé l’abandon par les seigneurs de Nouâtre, qui étaient les Princes de Rohan et qui descendaient de Louis III de Rohan-Guémené (mort en 1498), époux de Renée du Fou, fille de Jean du Fou. Ces grands seigneurs, mêlés à l’histoire de France, préféraient en effet laisser leurs châteaux aux mains d’un gouverneur et résider près du roi.
Photo PMD déc. 2009
Le dernier seigneur de Nouâtre fut Henri Louis Marie de Rohan (1745-1809), célèbre pour ses prodigalités et pour la banqueroute retentissante qu’il fit en 1793, avec une dette de 33 millions de livres ; après la Révolution, il perdit ses titres pour avoir émigré et il mourut à Prague.
Le dernier gouverneur de Nouâtre fut René Louis Tourneporte de Vontes (1742-ap.1815), fils de René Pierre Louis Tourneporte (1713-1778), sieur de Vontes (Monts), lui-même gouverneur de Nouâtre et président du grenier à sel de Sainte-Maure, enterré dans le cimetière de Nouâtre et petit-fils de René Tourneporte (1680-1754), sieur de Bonivet (Chinon), sénéchal (juge) de Nouâtre, inhumé dans l’église de Nouâtre « sous la chaire proche le mur ».
Photo PMD déc. 2009
René Louis Tourneporte, qui était aussi lieutenant-général au bailliage (tribunal) de Chinon, continua ses fonctions de juge à Chinon après la Révolution sous le nom de monsieur Devontes ; arrêté comme suspect en 1793, il échappa à la guillotine, notamment grâce à son neveu Jean Fortuné Boüin de Marigny (1766-1793), général de la République, tué lors de la guerre contre les Vendéens ; un chinonais qui tenait son journal à cette époque note que « les terroristes ont pris le citoyen Devontes par les cheveux et l’ont jeté à la porte ». Il démissionna en 1797 ; il habitait encore Talvois en 1815 avec son cousin Jean François Marie Tourneporte (1761-1842) ancien curé d’Argenson puis juge de paix à Sainte-Maure, après la Révolution.
Une sœur de René Louis : Marie Madeleine Élisabeth Tourneporte (1746-1823) épousa en 1762 Jacques Honoré Marchand, futur maire de Nouâtre et une de ses tantes : Marie Félicité Tourneporte (née en 1757) épousa en 1775 André René Deniau, futur agent national à Nouâtre.
Le premier château était une motte castrale, c’est-à-dire un tertre, protégé par des douves et entouré d’une forte palissade en bois, dont le sommet était occupé par un donjon, en bois également. Celle-ci fut édifiée en détournant un petit affluent de la Vienne, nommé le Réveillon, et en creusant un canal, ce qui permettait d’avoir une grande quantité de terre et de disposer d’un cours d’eau servant de douves et alimentant un moulin, d’où le nom de Biez, donné à Nouâtre à cette portion du Réveillon.
Échaugette (photo PMD dec. 2012)
Ce premier château fut reconstruit en pierre puis fortifié par Foulques Nerra ; l’entrée des fortifications était défendue par un fortin, lui-même entouré de douves et de murs, situé à la Pierre du Faon. L’ensemble des fortifications englobait l’église, des basses-cours, des logements, des granges, un moulin banal, etc.
Ce château de Foulques Nerra fut en grande partie reconstruit au 15ème siècle par Jean III d’Estouteville (mort en 1494), époux de Françoise de la Rochefoucauld, fille d’Aymar de la Rochefoucauld (mort en 1455), seigneur de Montbazon, Nouâtre et Sainte-Maure, puis par Jean du Fou (mort en 1492), époux d’une autre fille d’Aymar, Jeanne de la Rochefoucauld. Voir aussi https://www.mairie-nouatre.fr/le-chateau/
Il était défendu par cinq grosses tours circulaires, aux angles des murailles : son entrée, protégée par deux petites tours était sur le mur sud, perpendiculaire à la Vienne ; un pont-levis, dont il reste quelques traces, permettait d’y accéder ; à l’intérieur (devenu un jardin), il ne reste qu’un puits, qui aboutissait dans une citerne ainsi que quelques vestiges du donjon et des murs intérieurs.
Salle intérieure (photo PMD mai 2015)
Après la Révolution, le château fut vendu comme bien national à un certain Pierre Jahan « ci-devant employé dans les gabelles » mais laissé à l’abandon, il servit de carrière de pierre et se détériora rapidement. Au 19ème siècle, le propriétaire, Alphonse Ligeard, détériora l’ensemble en construisant une maison sur une partie du château.
Les actuels propriétaires ont signé en 2018 avec la municipalité un bail emphytéotique concernant les murailles du château, ce qui devrait permettre de les consolider et de les mettre en valeur.
Maison construite sur le château (photo PMD sept. 2013)