La Vienne avec Les Maisons Rouges, Talvois et Chenevelles
Des Maisons Rouges, en amont, jusqu’à Talvois et Chenevelles, en aval, la commune de Nouâtre est bordée par la Vienne sur 7 km environ et pendant des siècles cette rivière a été, avec l’agriculture, la principale ressource des habitants, grâce aux pêcheries et à la batellerie.
La pêche : au moyen-âge, de nombreuses « écluses » gênaient la circulation des bateaux, ; ce terme, venant du latin « aqua exclusa » ou « eau séparée » désignait des portions de rivières délimitées par des vannages, dans lesquelles les poissons étaient emprisonnés et qui pouvaient être l’objet de ventes ou de dons ; les moines de l’abbaye de Noyers (voir Noyers, ci-après) faisaient une grande consommation de poissons, surtout pendant le carême. La charte 116 (de 1084) du cartulaire de Noyers cite « l’écluse des moines » et « l’écluse de la Roche » ainsi que du « trafic d’eau entre les deux écluses ».
Source : Archives Départementales 45
La pêche professionnelle a été pendant longtemps florissante sur la Vienne mais elle est aujourd’hui quasiment disparue ; à Nouâtre, le dernier pêcheur professionnel, M. Marnais, avait aménagé des bassins (qui existent toujours) pour garder ses poissons, au bord du Biez, rue du Vieux Lavoir.
On peut noter aussi que, jusqu’à ces dernières années, le collège Patrick Baudry, de Nouâtre, a été le seul collège de France à avoir une section « pêche à la ligne », animée par la Fédération de pêche d’Indre-et-Loire.
La navigation : pendant des siècles, la Vienne fut utilisée pour transporter êtres humains et marchandises ; Les bateaux utilisés étaient généralement des toues cabanées, transportant des passagers ou des marchandises). Les transports s’effectuaient surtout en hiver, en période des hautes eaux ; ils cessèrent, au début du 20ème siècle, le jour où un chaland resta ensablé pendant 6 mois dans la région de Crouzilles.
Jusqu’à la Révolution, les bateaux naviguant sur la Vienne devaient acquitter de nombreux péages et lors de la rédaction des cahiers de doléances, en 1789, les bateliers de Châtellerault formulèrent le vœu « qu’on détruise les fascines (fagots de branchages, placés sur la rivière pour faciliter la perception des péages) placées sur la Vienne de Nouâtre à Chinon, qui ne laissent aux bateaux qu’une voie étroite et dangereuse ».
Un document de 1571 indique les tarifs du péage de Nouâtre : 16 deniers tournois, par exemple, par caque (barrique) de harengs, somme relativement modeste équivalent à 1,30 € environ mais il ne faut pas oublier que les péages étaient particulièrement nombreux sur les rivières navigables. Le denier tournois était la 12ème partie du sol tournois (c’est-à-dire « frappé à Tours »), dont la valeur approximative peut être estimée à 10 cents (valeur 2023).
L’abbé Michel Bourderioux (1902/1991), raconte dans Naufrage sur la Vienne in Bulletin des Amis du Vieux Chinon, VI 8 1963/64 (pages 435/436) qu’en 1779, une sapine (bateau fait de troncs de sapin grossièrement assemblés) allant de Châtellerault à Saumur fut prise dans une tempête devant la tuilerie de Ports-sur-Vienne et fit naufrage après avoir été jetée « contre le rocher bordant la rivière du côté de Noyers ». Pierre-Émery Forest, alors notaire royal au grenier à sel de Sainte-Maure mais résidant à Nouâtre, fit un constat, avec pour témoin, Jacques Chantelou, lieutenant de gabelle à Noyers (Chatellu selon le document original) et René Bredier, tailleur de pierre à Nouâtre.
Lieu du naufrage selon l'abbé Bourdérioux (photo BAVC 1963, annotations PMD)
En 1843, il existait encore une ligne de bateaux à vapeur, exploités par la Société des Inexplosibles, transportant passagers et marchandises de Châtellerault à Nantes avec arrêts aux Ormes, à L’Île-Bouchard, à Chinon, à Candes, à Saumur et à Angers. De Candes, il était possible de rejoindre Tours, Blois et Orléans. Le tarif sur la distance complète était de 17,30 francs pour la 1ère chambre et de 11,80 francs pour la 2ème chambre.
Les bacs : voir Les bacs sur la Vienne tourangelle dans la catégorie Les bacs sur les cours d’eau d’Indre-et-Loire.
Les crues : pendant longtemps, les crues imprévisibles de la Creuse et de la Vienne causèrent des dégâts à Noyers et à Nouâtre. La première crue dont l’histoire locale garde la trace eut lieu en décembre 1530 et la plus importante en juillet 1792. Cette année-là, la Vienne monta de plus de 10 m. et inonda une grande partie de la commune. Plus près de nous, des crues importantes eurent lieu en 1913, le 28 mars 1926, en 1930, en avril 1962 ainsi que, d’une façon inattendue, le 30 mars 2024 (!).
Crue du 28 mars 1926 dans le bourg (plaque de verre, collection Chazal)
Il existe à Nouâtre plusieurs marques de crue : celle de 1792 est indiquée dans le passage entre l’épicerie et le café, dans l’église Saint-Léger ainsi que sur le manoir de Talvois, où il y a beaucoup d'autres marques ; celles de 1913 et de 1930, sur un mur de la boulangerie ; la marque de cette dernière crue peut aussi être vue sur le linteau d’une ancienne fenêtre de La Clé des jardins, rue du Vieux-Lavoir ; deux marques, non datées, se trouvent sur un mur d'angle de la maison située 17, rue de la Liberté.
Par ailleurs de très nombreuses marques de crues sont gravées sur le chevet de l’église de Marcilly-sur-Vienne (voir sur le site de Bernard Danquigny https://www.noyers-nouatre.fr/marcilly-les-marques-de-crues-sur-leglise/).
En amont du bourg : Les Maisons Rouges : ce toponyme, qui apparaît sous la forme la Maison Rouge sur la carte de Cassini, est très fréquent dans toute l’Europe romanisée ; il indique souvent, surtout au singulier, un ancien lieu d’étape, situé près d’une ancienne voie, où une auberge, soit peinte en rouge pour être bien vue, soit recouverte de tuiles, accueillait les voyageurs ; ces lieux étaient parfois situés près d’une carrière d’argile permettant la fabrication de briques et de tuiles ; ces caractéristiques correspondent tout-à-fait à ce lieu-dit de Nouâtre, puisque la voie romaine Poitiers-Tours passait non loin de là et qu’il y avait bien une carrière d’argile, dont le souvenir a été conservé dans l’ancien toponyme, la Varenne d’Embrée, du latin imbrex, signifiant tuile, aujourd’hui les Varennes.
Près de ce hameau les photographies aériennes, faites par Alain Kermorvant (université de Tours) accompagné de Philippe Delauné, originaire de Ports-sur-Vienne, ou par Jacques Dubois (voir Bulletin de la Société Archéologique de Touraine, notamment le n° 50) ont révélé de nombreux vestiges du néolithique final (- 2 500 ans), notamment près de la Fontaine blanche, source qui a donné son nom à une série d’étangs entre Noyers et Les Maisons Rouges. Non loin de là, un bloc de grès ayant 4,60 mètres de long, 1,60 m. de large et 0,80 m. d’épaisseur a été identifié comme un menhir couché, connu dans la région sous le nom de Pierre Fitte (voir l'article Histoire, ci-dessus). Malheureusement toute cette région a été grandement bouleversée par la construction de l’autoroute A10 et par l’aménagement de la Ligne à Grande Vitesse Tours-Bordeaux.
Pigeonnier de La Rivaudière (photo PMD oct. 2016)
Dans ce hameau se trouve l’ancienne ferme de la Rivaudière, aujourd’hui GAEC-des-deux-rivières, appelée antérieurement « la fresche de la Pouilleuse », du nom d’une source, appelée « la Fontaine Pouilleuse » (aujourd’hui Fontaine Saint-Jean), citée dans la charte 85 (de 1081) du cartulaire de l’abbaye de Noyers. Il reste de cette ferme un portail double, avec une porte charretière et une porte piétonne, sur lequel se trouvent de nombreux graffiti, dont une croix de Malte ainsi qu'un beau pigeonnier.
Près de là, le confluent de la Vienne et de la Creuse, dit le Bec-des-Deux-Eaux, fut connu au moyen-âge sous le nom de Groin, du nom d’un château-fort construit à cet endroit par Hugues I de Sainte-Maure (1030/1115), dit Hugues l’Ancien, fils de Josselin le Poitevin, compagnon de Foulques Nerra et d’une fille de Jean de Chinon.
Barrage des Maisons Rouges
C’est là qu’un barrage, dit des Maisons Rouges, fut élevé en 1924 pour les besoins des Papeteries de la Haye-Descartes (aujourd’hui Descartes). Ce barrage comprenait un batardeau de 70 m et une petite usine hydro-électrique ; il passa sous le contrôle de l’EDF en 1946. « L’effacement » de ce barrage, décidé en 1994 dans le cadre du plan Loire grandeur nature, fut réalisé en 1998, malgré l’opposition des élus locaux qui y voyaient une perte de ressources importantes, apportées par les impôts locaux et par l’aménagement touristique du plan d’eau constitué par la retenue du barrage ; l’objectif de cette suppression était de permettre le développement des poissons migrateurs (aloses, lamproies, saumons) mais, dans la région, les avis divergent sur l’impact de cette destruction.
En aval du bourg : Talvois et Chenevelles :
Talvois : ce hameau est cité dans la charte 173, de 1089, du cartulaire de Noyers sous la forme Thalevaia ; tout le monde est d’accord pour dire que ce toponyme vient de Talavia mais pour certains, il s’agit d’un patronyme gaulois tandis que pour d’autre ce mot indique un « chemin supprimé ».
Un château fortifié et entouré de douves y fut construit au 15ème siècle. Le seigneur en était Sylvain des Aubuis (voir l’église Saint-Léger), écuyer et vassal de Jean du Fou (voir la seigneurie). Son fils, Jean des Aubuis fonda une chapelle dans l’église en 1506 en souvenir de ses parents. Sa fille, Jeanne des Aubuis (née vers 1459) épousa en 1471 Pierre Voyer de Paulmy, ancêtre de la famille Voyer d’Argenson (voir ci-après Le château d’Argenson).
Manoir de Talvois (photo PMD sept. 2009)
Le bâtiment principal du manoir actuel actuel, orienté nord-sud, présente sa façade au soleil levant. C’est une construction du 17ème siècle. À cette époque le propriétaire est François de Messemé, également seigneur de la Cour au Berruyer à Cheillé, gouverneur de Carcassonne et époux de Cassandre de Pierres. La seigneurie passa ensuite à Charles-Joseph, comte de Rochefort (1650-1686), époux de Nerée de Messemé, fille de François de Messemé ; le polémiste Henri de Rochefort (1831-1913), fondateur en 1868 du journal La lanterne, dont le premier éditorial est resté célèbre par cette phrase : « La France compte 36 millions de sujets, sans compter les sujets de mécontentements » était membre de cette famille.
À la fin du 17ème siècle, René II de Voyer (1623/1700) acheta le fief de Talvois pour agrandir la paroisse d’Argenson, qu’il avait créée et Talvois fut réuni aux propriétés d’Argenson pour former une châtellenie, érigée ensuite en marquisat.
Sur l’un des montants de la fenêtre droite de la mansarde, une pierre porte une inscription, gravée sans doute à l’époque de la reconstruction du château, où l’on peut lire : « Aujourd’hui mesme 1 juillet 1640 ».
Chenevelles : le toponyme de ce hameau à cheval sur Nouâtre et Pouzay, vient du latin cannabella, signifiant champ de chanvres. Il y avait d’ailleurs au Moyen-Âge un moulin à chanvre, destiné à assouplir la fibre, alimenté par le ruisseau de l’Âne mort et le ruisseau des Gaudeberts. Il y avait également un prieuré dépendant de l’abbaye de Noyers ; cet établissement était peut-être destiné à accueillir les pèlerins se rendant à Compostelle car Chenevelles se trouvait au bord de la via Turonensis (aujourd’hui GR 48 dans cette portion), allant de Paris à Saint-Jacques de Compostelle, et reprenant le tracé de la voie romaine Tours-Poitiers (voir la catégorie Les voies gallo-romaines chez les Turons).
Chenevelles (photo PMD déc. 2009)
La charte 527 (de 1140) parle d’ « un pré qui se trouve à Chenevelles et qu’on appelle pré de la Pierre ». Il s’agit d’un pré situé au lieu-dit la Pierre levée, à 750 mètres en aval de Chenevelles (commune de Pouzay) où se trouvent un grand chêne et un dolmen. Ce dolmen est aujourd’hui quasiment enterré mais un ancien habitant de Nouâtre, qui réside toujours à Talvois, se souvient être passé dessous quand il était enfant.
Les grandes manœuvres de 1912 : Noyers eut son heure de gloire en 1912, à l’occasion des grandes manœuvres qui, du 11 au 17 septembre, mirent sur le terrain dans l’ouest de la France, 5 corps d’armée (soit 110 000 soldats), sous la direction du général Joffre et en présence du Grand-Duc Nicolas de Russie, futur commandant en chef de l’armée impériale.
Les grandes manoeuvres de 1912 à Noyers (cp collection Philippe Gautron)
Les militaires du 6ème génie construisirent sur la Vienne, entre Noyers et Marcilly, à l’aide de 18 bateaux, un pont provisoire qui fut inauguré par le Président de la République Armand Fallières, accompagné du Président du Conseil Raymond Poincaré, futur Président de la République.
Le triathlon : aujourd’hui, et ce depuis 1984, la Vienne reprend vie le dernier samedi du mois de juin, grâce au Triathlon International de Nouâtre.
Triathètes dans la Vienne entre Noyers et le bourg, en 2016 (photo PMD juin 2016)
Le matin, les amateurs partent de Marcilly pour une épreuve de 750 mètres sur la Vienne, suivie d’un parcours cycliste de 20 km et d’une course à pied de 5 km. L’après-midi, les licenciés prennent le départ à Noyers pour 1 500 mètres à la nage, 40 km en vélo et 10 km à pied. Chaque année, près de 1 000 sportifs participent à cet événement majeur.