1B. Ponts détruits en 1780 et en 1940 : le pont de Langeais
Bien qu’il n’y ait, on le sait, qu’un seul pont à Langeais, si l’on excepte le récent viaduc de l’autoroute, on peut sans doute parler des « ponts » de Langeais car celui-ci fut construit ou reconstruit à cinq reprises (1846. 1861. 1872. 1934. 1951). C’est d’ailleurs improprement que l’on parle du pont de Langeais puisque ce dernier se trouve aux trois quarts sur la commune de La Chapelle-aux-Naux, mais celle-ci ne fut créée qu’en 1790 et la paroisse ayant précédé cette création dépendait de Langeais.
Le premier pont
En 1836, le Conseil Général d’Indre-et-Loire décida de créer une route départementale entre Sainte-Maure-de-Touraine et Noyant dans le Maine-et-Loire, via Azay-le-Rideau et Langeais, où le bac sur la Loire serait remplacé par un pont à péage (voir https://turonensis.fr/categories/passages-eau-indre-et-loire/01-les-passages-sur-la-loire-tourangelle-liste). À cet effet, une proposition d’adjudication fut publiée.
En 1839, la construction du pont fut adjugée, à une société comprenant, comme gérant, Charles de Boissimon (1817/1879), fondateur des faïences de Langeais, ainsi que son cousin Jacques Julien Boilesve (1786/1863), l’architecte Phidias Vestier (1796/1874), le banquier François Alexandre Seillière (1782/1850) et l’industriel Adolphe Schneider (1802/1845). Le capital de cette société était de 200 000 francs, constitué par 400 actions de 500 francs.
Plan du 1er pont 1849 (source AD S 1856)
Ce pont suspendu à péage, dit « en fil de fer », fut construit entre 1846 et 1849, suivant les plans de l'architecte Phidias Vestier. Le coût prévisionnel était estimé à 375 245 francs avec une subvention de 150 245 francs (dont 37 045 francs provenant d’une souscription) mais au final le coût fut de plus de 500 000 francs, la construction ayant été entravée par les inondations de 1846 et par un violent ouragan en 1847.
Ce premier pont, d’une longueur de 358,92 mètres et d’une largeur 5,50 mètres avait 5 travées (2x44,4 ; 2x90,06 ; 1x90), fut inauguré le 4 mars 1849 par le sous-préfet de Chinon et le maire M. Casimir Boilesve-Desroyers (1793/1877), accompagnés des autorités religieuses.
La circulation sur ce pont, où du sable était répandu en hiver, était interdite aux voitures de plus de 4 tonnes (chargement de 2 500 kg pour une voiture de 1 500 kg) et un seul véhicule à la fois pouvait l’emprunter. Les droits de péage, équivalents à ceux du bac antérieur au pont (voir https://turonensis.fr/categories/passages-eau-indre-et-loire/01-les-passages-sur-la-loire-tourangelle-liste), allaient de 5 centimes pour une personne à pied jusqu’à 2,50 francs pour un charriot chargé et attelé de 3 chevaux ou mulets. Étaient exemptés : le préfet et les sous-préfets ainsi que le juge de paix, dans l’exercice de leurs fonctions, le maire de Langeais, les employés des ponts-et-chaussée, les militaires et les gendarmes.
Le deuxième pont
Dans la nuit du 20 au 21 juillet 1859, au cours d’un ouragan, la foudre tomba sur une colonne de la 3ème pile, entraînant la chute dans le fleuve des tabliers et du système de suspension ; mais, les piles et les culées étant intactes, le pont put être rétabli assez facilement.
Dessin du pont foudroyé 1859 (source AD S 1856)
Les plans, établis de nouveau par Phidias Vestier, furent approuvés par le ministre de l’agriculture, du commerce et des travaux publics, qui était alors Eugène Rouher (1814/1884). Ce pont, qui comportait 2 travées de 45 m. ainsi que 3 travées de 90 m. (longueur totale = 360 m.), fut construit pour un coût de 110 000 francs, avec une subvention de 5 000 francs de la commune et de 50 000 francs de l’État.
Ce deuxième pont fut inauguré le 8 septembre 1861 par le préfet et le député Maurice de Flavigny (1799/1873).
Le troisième pont
Le 24 septembre 1870, alors que la guerre contre la Prusse avait éclaté et que le gouvernement s’était retiré en Touraine (voir l’introduction), les communes riveraines furent informées que les autorités militaires avaient prévu et programmé le démontage du pont en cas de besoin.
En janvier 1871, M. Barthélémy Archambault, président de la Commission Municipale, ayant remplacée, du 16 octobre 1870 au 7 juin 1871, le Conseil Municipal après la chute de Napoléon III, annonça à cette Commission que les habitants de La Chapelle-aux-Naux, sur la rive gauche, voulaient couper les câbles du pont pour que l’armée prussienne ne puisse pas le traverser et qu’il s’était opposé à cette action.
Finalement l’armée n’eut pas le temps de faire démonter le pont, qui fut détruit le 29 janvier 1871 par le génie, sur ordre du lieutenant (et futur général) Georges Claret de La Touche (1852/1939).
De nouveau un bac fut mis en service du 29 janvier 1871 jusqu’en avril 1874, avec une charrière de 12 m. et deux bateaux ; l’adjudication du fermage ayant été infructueuse, le bac fut géré en régie par le département et accusa un déficit de 10 000 francs au terme de son utilisation.
Le pont en 1873 (photo NR)
Une troisième fois, il fallut reconstruire le pont ; la société concessionnaire ayant, dans un premier temps, refusé de le faire, considérant que l’État étant responsable de la destruction, c’était à lui de prendre en charge son rétablissement, le département fit faire les plans par M. Paul Louis de Basire (né en 1840), alors ingénieur des Ponts et Chaussée. Mais finalement la société accepta en 1872 d’assurer la reconstruction avec une subvention de 280 000 francs.
Le pont fut donc reconstruit, entre 1872 et 1874, avec 4 piles supportant 2 câbles de 11 barres de fer, 3 travées de 90,07 m. et 2 travées de rives de 45,35 m. (360,91 m. au total). L’inauguration eut lieu le 7 avril 1874 avec le député-maire de Tours, le banquier Eugène Gouin (1818/1909) et le maire de Langeais (de 1871 à 1878), le professeur de médecine Augustin Félix Orfila (né en 1827).
La concession devait prendre fin le 5 février 1888, mais la société qui en était propriétaire ayant refusé de faire faire les travaux que le département estimait nécessaires, le produit du péage fut mis sous séquestre jusqu’à ce que la société accepte de verser 3 000 francs en dédommagement des travaux qu’elle n’avait pas effectués.
Après la reprise par le département, le péage fut supprimé et un gardien fut nommé pour entretenir le pont et pour faire respecter la réglementation, qui, selon un arrêté de 1904, stipulait que le poids maximum des voitures était de 5 500 kg (véhicule compris), que pas plus de 10 gros animaux (chevaux, bœufs ou vaches) ne pouvaient l’emprunter en même temps, que les cavaliers devaient être au pas, que l’infanterie devait y circuler « sur 2 files et à volonté » (c’est-à-dire sans être au pas), qu’il était interdit d’y stationner ou d’y fumer, etc.
Le pont en 1935, pose des cables (col privée)
Les gardiens, assermentés, pouvaient dresser des procès-verbaux et les archives départementales conservent de nombreux documents concernant le gardien nommé François Saint-Luc, en conflit permanent avec les voituriers d’Azay-le-Rideau, qui suscitèrent des pétitions et même des agressions contre lui. L’amende minimum, pour un cavalier au trot par exemple, était de 5 francs plus les frais de 3 francs.
Incidemment ces archives nous renseignent sur la vie quotidienne en ce début du 20ème siècle ; le premier texte tapé à la machine, en 1902, indique que la durée de la journée de travail allait de 8 heures (du 15 novembre au 15 janvier) à 12 heures (du 15 mars au 15 septembre) et que les salaires étaient de 30 centimes/heure pour un manœuvre ou de 40 centimes/heure pour un charpentier.
Le quatrième pont
Le pont de 1874 ne suffisant pas à la circulation, il fut reconstruit une quatrième fois de 1934 à 1937 par l’entreprise Baudin de Châteauneuf-sur-Loire pour un coût de 2 420 000 francs, déboursés par le département.
C’était un pont suspendu à tablier rigide, utilisant les 6 piles existantes, construit dans le style du château et ressemblant beaucoup au pont actuel ; il était d’une longueur de 358,95 m. (2 travées de 44,400 m. et 3 de 90,050 m.) pour une largeur de 8 m. (chaussée de 6 m. et 2 trottoirs de 1 m.).
Les témoins furent étonnés par le petit nombre d’ouvriers travaillant à cette reconstruction : une dizaine d’ouvriers spécialisés, de l’entreprise Baudin et quelques dizaines d’ouvriers non spécialisés, embauchés à Langeais ; la circulation ne fut jamais coupée plus d’une demi-heure pendant les travaux.
Inauguration du 4ème pont en 1937 (col privée
Il fut inauguré le 13 juin 1937 par le maire, le docteur Victor Camus (maire de 1925 à 1929 puis de 1935 à 1938) et par le ministre d’état M. Maurice Violette (1870/1960).
Le 19 juin 1940, malgré l’opposition du maire (de 1938 à 1944), le viticulteur Jules Deschamps, l’armée française, dite de Paris, chargée de la ligne de défense établie au niveau de la Loire (voir aussi l’introduction et le pont de Port-Boulet, ci-après), détruisit le tablier du pont en coupant les câbles avec des explosifs mais les piles supportèrent le choc sans grand dommage. Par contre, l’explosion occasionna beaucoup de dégâts aux maisons situées sur la levée de la Loire et rue Anne de Bretagne, dont les propriétaires envoyèrent très vite à la mairie des demandes d’indemnités ; la plus importante s’élevait à 4 232,43 francs pour une maison située sur le port, tout de suite à droite du pont quand on sort de la ville.
Le pont en 1940 (col privée)
Peu après, les allemands entrèrent dans Langeais et informèrent le maire que si les troupes françaises, installées sur la rive gauche de la Loire, attaquaient, ils raseraient la ville ; ce qui heureusement n’eut pas lieu. Par contre, comme dans toutes les villes occupées, l’armée allemande se livra à de nombreux pillages, notamment dans les châteaux occupés.
Le pont en 1940 (Amis du Vieux-Langeais)
Dès 1940, on commença à déblayer l’ancien tablier du pont, tombé dans la Loire mais les travaux furent arrêtés en 1942 sur ordre des allemands et finalement le déblaiement définitif n’eut lieu qu’en 1967 pour un montant de 133 000 nouveaux francs.
Le pont et le bac en 1941 (collection privée)
La traversée de la Loire étant vitale pour la vie économique de la ville, un bac fut très rapidement mis en place et les archives conservent de très nombreuses plaintes concernant ce bac, à qui l’on reprochait notamment ses fréquentes interruptions, sa lenteur et ses horaires fantaisistes ; les services médicaux et les camions transportant du lait avaient la priorité ; ce qui donna lieu à beaucoup de conflits ; néanmoins, on dit que ces bacs furent aussi utiles à la Résistance en transportant des FFI ou du ravitaillement.
Le pont et le bac en 1941 (col privée)
En août 1944, de très nombreux bombardements des alliés causèrent beaucoup de dégâts aux habitations et aux bâtiments communaux mais permirent la libération de la ville, qui fut effective le 28 août 1944. On peut citer en particulier, le dimanche 6 août 1944, le mitraillage d’un train bondé de prisonniers destinés à la déportation, venant de Rennes, qui avait stoppé en gare de Langeais mais qui ne put ’aller plus loin, étant donné que le pont ferroviaire de Cinq Mars avait été détruit par des bombardements des alliés ; beaucoup de prisonniers s’évadèrent et gagnèrent les maquis, dont Joseph Martin (né en 1913), qui a donné son nom à une place, située près de la gare de Langeais.
Plan de la passerelle provisoire en 1945 (source A. D.)
Le cinquième pont
Bien qu'en 1945 une passerelle métallique provisoire, pour les piétons et les cyclistes, eût été installée sur les piles existantes, le bac continua à fonctionner pour les véhicules jusqu’à la reconstruction du pont ; cette passerelle, dont le coût fut d’un peu plus de 2 millions de francs, fut placée au-dessus de l’ancien pont de façon à pouvoir être encore utilisée pendant les travaux de reconstruction.
Le pont et le bac en 1949 (collection privée)
Mais le nombre de ponts à reconstruire étant considérable, le nouveau pont se fit attendre et la population s’impatientait ; à l’instigation du conseiller général Henry Pellet, le conseil général émit en juin 1948 plusieurs vœux relatifs à la réfection du pont, que le préfet de l’époque transmit fidèlement au ministre des travaux publics, des transports et du tourisme qui était alors Henri Queille (1884/1970). Henry Pellet (1906/1959) fut ensuite maire de Langeais de 1953 à sa mort.
En octobre 1950, les Ponts et Chaussées firent paraître un article indiquant que le pont était terminé mais qu’il ne pouvait pas encore être utilisé car il restait à faire les épreuves, qui devaient être terminées le 9 novembre.
Le pont en 2006 (source Ville de Langeais)
Ce pont, reconstruit à l’identique par l’entreprise Baudin, malgré l’opposition de la commission départementale des sites, qui n’appréciait pas le style moyenâgeux, mesure 359,80 mètres de long (3 travées de 90 m. plus 2 travées de 44,90 m.) et 8 mètres de large (chaussée de 6 m. plus 2 trottoirs de 1 m.) ; il a couté 82 528 295 francs, payés par l’état et fut inauguré en 1951 par le maire (de 1944 à 1953), M. Martial Boisseau.
le pont en 2009 (photo PMD sept. 2009)
C’est le pont qui existe toujours et qui sert d’emblème à la ville ; cependant sa propriété fut transférée en 1953 au département, qui fit faire les modifications suivantes :
1953 : adjonction des clochetons sur les arches.
1971 : pose de lanternes sous chaque arche.
1982/83 : installation de nouveaux câbles porteurs, par l’entreprise Baudin.
2006 : mise en lumière du pont.
Le pont aujourd'hui (source Ville de Langeais)
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