3D. Les ponts sur la Vienne tourangelle : les anciens ponts de Chinon
Le pont Aliénor d’Aquitaine
Un premier pont sur la Vienne est attesté en 1118, comme le mentionne une charte de Foulques V d’Anjou (1092/1143), qui cite un « moledinum quod est situm ad caput pontis de Chinone ante Sanctum Jacobum », c’est-à-dire « un moulin qui est assis à la tête du pont de Chinon avant Saint Jacob ».
Dans une autre charte de 1127, il est indiqué : « Foulques (…) pour accomplir le vœu fait par sa femme Aremberge (Erembourg du Maine, morte en 1126) donne à l’abbaye et aux moines de Fontevraud les droits de péage du pont de Chinon et le droit d’écluse sur la Vienne, qu’il tenait de sa mère Berthe (Bertrade de Montfort, 1070/1117). Les religieuses de Fontevraud devront, en reconnaissance de cette donation célébrer l’anniversaire de la comtesse Aremberge ».
Plan de Chinon au 18ème siècle (source AD 37)
Henri II Plantagenêt (1133/1189), au 12ème siècle; fit reconstruire ce pont, en pierre.
Comme le précise L’histoire de Guillaume le maréchal (cette histoire de Guillaume le Maréchal, 1er comte de Pembroke (1145 ou 1146/1219) a été publiée au 13ème siècle) : « le Maréchal et les barons le (Henri II Plantagenêt) portèrent sur leurs épaules de Chinon à Fontevraud (…) Cependant, à l’entrée du pont, se tenait une foule de pauvres, qui attendaient qu’on leur fît quelque aumône (…). Et les pauvres, accourus de toutes parts, au nombre d’au moins 4 000, n’eurent rien que la veine attente. »
En 1492, deux marchands de Chinon, Jean Nau et Bertrand Turineau lancèrent un projet de construction d’un autre pont, en face de la Place Jeanne d’Arc actuelle mais ce projet, qui avait sans doute pour commanditaire les chanoines de la collégiale Saint-Mexme, rencontra l’opposition des autres marchands de Chinon et n’aboutit pas.
Chinon en 1603 (gravure d'Alexandre Millard)
La plus ancienne représentation du pont ou plutôt des ponts, comme le disent encore certains anciens, en considérant qu’il y avait un pont entre la ville et l’île de Tours (dit le grand pont) puis un autre entre celle île et le faubourg Saint-Jacques (dit le petit pont), se trouve sur une gravure de 1603 faite par le moine Alexandre Millard, de l’ordre des Minimes. On y voit les deux tours de la Porte du bourg ainsi que la Porte Saint-Jacques mais pour le reste, cette gravure est inexacte et le pont est étrangement raccourci.
N.B. La plupart des reproductions proviennent du livre de François de Izarra (archiviste de la ville de Chinon)n intitulé La Vienne à Chinon de 1760 à nos jours (Loire et terroirs éd. 2007).
Cette Porte du bourg, défendue par deux tours circulaires, couronnées de machicoulis et de créneaux, bien visible sur de nombreux documents, ne sera détruite qu’en 1824, sous le mandat d’Armand de Ruzé d’Effiat (1780/1870, maire de 1816 à 1828), mais, pendant la Révolution, le 10 ventôse an II (28 février 1794), le commandant des troupes de la République à Chinon, tenant compte des menaces de l’armée des Chouans, prévient les administrateurs du district que la porte proprement dite, haute de 13 pieds 6 pouces (4,11 m.) n’existe plus et que tous les charpentiers de Chinon ont été réquisitionnés pour la reconstruire.
Pont en 1682 (plan de Nicolas Poictevin)
Par contre, le plan de l’ingénieur du roi, Nicolas Poictevin (mort en 1719), établi en 1682, nous renseigne parfaitement sur les caractéristiques des ponts à la fin du 17ème siècle ; on y voit notamment que le petit pont comprenait 7 arches et le grand pont, 8 arches mais que les quatre dernières, du côté de la ville, étaient des passerelles en bois, pouvant être détruites en cas de danger. On peut noter cependant que le plan du haut est inexact et ne correspond pas exactement à celui du bas.
On y voit aussi que l’entrée du petit pont, du côté du faubourg Saint-Jacques, était protégée par une porte (détruite en 1764), dont la clé de voûte, ornée de l’écu de France entouré du collier de Saint Michel, porte la date de 1513, que la 5ème pile en venant de Saint-Jacques, plus massive que les autres, supportait une « bastille» (détruite en 1774), où un lieutenant des gabelles fut installé en 1649 et qu’il y avait, au milieu des ponts, du côté amont, un escalier avec un palier intermédiaire, qui permettait de descendre sur la pointe amont de l’île de Tours, appelée « la queue de l’île ».
Chinon en 1699 (peinture de Louis Boudan)
La troisième et dernière représentation du 17ème siècle partielle cependant, est celle que le peintre Louis Boudan (actif en 1687 et 1709) a réalisée en 1699 pour la célèbre collection de l’historiographe François Roger de Gaignières (1642/1715). On pourra noter, comme me l’a fait remarquer mon ami Frédéric de Foucauld, président d’honneur de la Société d’Histoire de Chinon, Vienne et Loire, que sur ce beau tableau, le pont n’est pas situé, comme il se doit, en face des tours de la porte du bourg mais plus en amont, du côté de l’église Saint-Étienne. On peut aussi remarquer sur ce tableau, quelques-uns de ces nombreux moulins flottants, qui, à cette époque, sillonnaient tous les cours d’eau.
Il y eut bien évidemment de nombreuses modifications et réparation de ces ponts :
On sait, par exemple, que le 9 mai 1616, lorsque Henri II de Bourbon-Condé (1588/1656), descendant du roi Louis IX, premier prince du sang, chef de la révolte des nobles contre la régence, voulut prendre possession du château, suite au traité de paix qu’il avait signé le 4 mai à Loudun avec Marie de Médicis (1575/1642), épouse d’Henri IV, régente de 1610 à 1617 pendant la minorité de son fils, Louis XIII, « le pont était rompu et le prince de Condé dut franchir la rivière dans une charrière ».
On sait aussi qu’en 1631, Isaac Du Soul, procureur au présidial (tribunal) du bailliage de Chinon fut envoyé à Tours afin d’obtenir du trésorier de la généralité de Tours une subvention pour la réfection des ponts, laquelle eut lieu en 1633.
Chinon en 1760 (gravure pour Le Royer de La Sauvagère)
En 1635, la « municipalité » de Chinon décida que les arches du grand pont seraient barrées pour empêcher les bateaux chargés de blé de passer à son insu. En 1657, le « sieur Bodin » fut autorisé à construire une petite maison (détruite en 1852) « près de la première pile, à main gauche, au-delà de la bastille, en allant vers Saint-Jacques ».
En 1744/45, des réparations importantes conduisirent à la fermeture du pont et à la mise en place d’un bac dont les tarifs étaient les suivants : une personne = 1 liard, un cavalier = 1 sol, un âne = 3 liards, une charrette vide = 5 sols, une charrette chargée = 10 sols, les carrosse, litière, charriot = 12 sols. Notons qu’à cette époque, la monnaie de référence était la livre tournois (frappée à Tours), divisée en 20 sous ou sols, 80 liards et 240 deniers.
Des travaux furent effectués au début du 19ème siècle, suite à une visite, le 9 ventôse an X (28 février 1802), par l’ingénieur des Ponts et Chaussées, Maxime Dubrac (1765/1847), d’une pile qui menaçait de s’écrouler.
Chinon vers 1840 (tableau de Thomas Allom)
En 1811, un décret impérial voulut instaurer un péage sur le pont mais « le maire Boüin de Noiré s’opposa fermement à ce projet qui présentait de graves inconvénients pour le faubourg Saint-Jacques et la commune de Parilly réunie à Chinon, partie de la ville occupée par la classe ouvrière » et le projet fut abandonné. Ce maire, est probablement François Fortuné Boüin (né en 1769), fils de Marie François Boüin de Noiré, lui-même frère de Fortuné Boüin de Noiré (1728/1809), chanoine de Saint-Mexme et de Jean Louis Boüin de Noiré (1727/1782), maire de Chinon de 1759 à 1770.
En 1824, la destruction de la porte du bourg (voir ci-dessus) et la prolongation du quai sur la rive droite de la Vienne entraîna la disparition de 2 arches du pont.
En 1848, la municipalité décida de faire construire des bâtiments pour percevoir l’octroi (impôt sur les marchandises entrant dans une ville). Les deux « pavillons du pont Saint-Jacques » furent construits en 1849/50 ; cet impôt fut partiellement supprimé en 1933 puis, complètement, en 1943 et les pavillons furent détruits en 1972.
Chinon en 1847 (tableau de Fortuné Viau)
Jusqu’au milieu du 19ème siècle, les ponts gardèrent leur aspect moyenâgeux, comme on peut le voir, sur la gravure réalisée en 1760 pour illustrer la monumentale histoire de Chinon que l’ingénieur militaire Félix Le Royer de La Sauvagère (1707/1782) était en train d’écrire dans son château des Places à Savigny-en-Véron, ou sur celui du peintre anglais Thomas Allom (1804/1872), ou encore sur le beau tableau de Fortuné Viau (1812/1889), peint en 1847 et conservé à la mairie de Chinon.
Chinon en 1855 (tableau de Karl Girardet)
En 1851/52, d’importantes modifications furent effectuées : on supprima notamment les refuges du côté aval et les retraits, côté amont ; la voie une fois élargie, on établit des trottoirs et le parapet en pierre fut remplacé par une balustrade en fer. Dès lors, le pont changea d’aspect et les tableaux nous montrent un pont ressemblant davantage au pont actuel. On peut cependant voir encore aujourd’hui les arches du pont Plantagenêt sous celles du petit pont.
À partir de 1829, plusieurs bateaux-lavoirs furent installés en amont du grand pont ; les lavandières étaient alors nommées, vu leurs bavardages incessants, « poules d’eau » ou « margottes » ! Ces bateaux furent fortement endommagés lors de la crue de 1912 et disparurent dans les années 1930.
Pont et bateaux-lavoirs vers 1920 (cp)
Le 18 juin 1940, le 2ème bataillon d’élèves aspirants de Saint-Maixent arriva à Chinon et organisa la défense du pont sur la rive gauche de la Vienne ; à deux reprises, le 19 juin, le génie tenta en vain de faire sauter le pont ; le 21 juin, après avoir traversé la Vienne à Port-Boulet (voir https://turonensis.fr/categories/certains-ponts-tourangeaux/1c-ponts-detruits-en-1870-et-1940-le-pont-de-port-boulet), les allemands entrèrent dans Chinon, déclarée ville ouverte par le maire, le docteur Henri Mattraits (1882/1948), maire de 1934 à 1945. La Kommandatur s’installa à La Boule d’or au 66, quai Jeanne d’Arc ou 25 rue Rabelais.
À partir de 1941 la résistance s'organisa dans le triangle L'Île-Bouchard-Saumur-Richelieu, centré sur la forêt de Scévolles (dans le nord de la Vienne). Beaucoup de Chinonais furent alors déportés, dont le docteur Pierre Labussière (1905/1944), mort à Neuengamme. Voir http://marie-javelle.fr/2017/09/22/mattraits-labussiererues-paralleles-destins-croises/
Le 28 juin 1944, les allemands firent des trous au-dessus des piles du pont de pierre et y déposent des mines anti-char, des munitions et le contenu d’une barrique de poudre jaune ; l’explosion le lendemain fut observée par de nombreuses personnes placées sur la passerelle du château et l’une d’elles fut tuée par les débris qui s’élevèrent jusqu’au-dessus de la Tour de l’Horloge.
Pont en 1944 (photo M. Robineau)
Cette explosion entraîna, dans la partie nord du pont (entre le bourg et l’Île de Tours), la destruction de deux piles, dont il ne resta que deux moignons, et de trois arches ; la partie sud du pont (entre l’Île de Tours et le faubourg Saint-Jacques) demeura intacte.
Pont en 1950 (photo M. Robineau)
Dès la libération de la ville, deux passerelles en bois furent jetées sur les restes des piles et un bac fut mis en place, pour rétablir la jonction entre les deux rives. Par la suite un pont Bailey (pont métallique préfabriqué, conçu pour un usage militaire) fut installé à l’aval des piles détruites pour permettre le travail des ouvriers dans l’axe du pont.
Pont en 2019 (photo PmD déc. 2019)
Malgré son étroitesse, qui empêchait le croisement de deux véhicules, ce pont rendit de nombreux services jusqu’à la reconstruction du pont de pierre, qui fut réalisée en 1950, selon les plans de l’architecte Bernard Vitry (1907/1984), en supprimant une pile pour créer à la place une grande arche de décharge.
Pont en 2022 (photo PmD mai 2022)
Le pont à nonnain
Vers 1160, Henri II Plantagenêt fit également aménager, en prolongement du pont sur la Vienne, sur l’espace entre les faubourgs Saint-Jacques et Saint-Lazare, qui était occupé par des terres marécageuses et souvent inondées, un autre pont, dit « le pont à Nonnain » ou « pont aux Nonnains » ou « pont des Nonnes ».
C’était plus exactement une chaussée maçonnée, percée de 55 arches et surélevée de 2,50 mètres, qui n’était accessible qu’aux piétons et aux cavaliers, car il y avait huit marches du côté de Saint-Lazare. Une autre chaussée empierrée, pour les voitures, longeait ce pont mais elle ne pouvait pas être empruntée quand il y avait des inondations.
Pont à nonnain (source BAVC 11.1 2007 annotations PmD)
Selon les sources, les raisons de la construction de ce dernier pont sont diverses ; il est indéniable qu’il facilita les communications et le commerce avec le Poitou, car, auparavant, il fallait, dit-on, utiliser le gué entre Cravant et Rivière pour se rendre dans cette région (voir https://turonensis.fr/categories/passages-eau-indre-et-loire/les-passages-sur-la-vienne ) mais selon les Mémoires de la Société impériale d’agriculture, sciences et arts d’Angers (1866) « Henri II fit construire sur la Vienne près de Chinon le pont aux Nonnains ainsi nommé dit-on parce que le roi le traversait souvent pour aller voir les religieuses de Fontevrault dont la chasteté était véhémentement soupçonnée (…) ». Cet article ajoute qu’après la mort de roi : « Beaucoup pleuraient à le voir passer – dans sa bière, pour être inhumé à l’Abbaye royale – une dernière fois sur ce Pont aux Nonains, qu’en son amour pour le Moustier, il avait jeté sur la Vienne ».
Vestiges du pont à nonnain (photo PmD mai 2009)
Pendant longtemps l’abbaye de Fontevraud, qui avait la concession des péages, en assurait l'entretien et il a comporté des échoppes de marchands.
Au 16ème siècle, la liaison entre Paris et Loudun, via Chinon, passait par ce pont, comme l’indique Rabelais dans le chapitre 34 de Gargantua (1542) intitulé : Comment Gargantua laissa la ville de Paris pour secourir son pays : « Dès qu’il eut lu les lettres de son père, il monta sur sa grande jument et il eut tôt fait de passer le pont de la nonnain, avec Ponocrates, Gymnaste et Eudemon, qui, pour le suivre avaient pris des chevaux de poste ». Voir https://turonensis.fr/categories/rabelais-en-touraine/chinon.
Il était complètement en ruines lorsqu’il fut remplacé par une digue en 1760.
Le pont du Cheval Blanc
Au moyen-âge, le faubourg Saint-Jacques était protégé par des murailles, dont les douves, du côté est, étaient alimentées en eau par un petit cours d’eau, s’écoulant dans la Vienne et franchi par un petit pont en bois, mentionné en 1576 ; il mesurait 14 pieds (4,30 m) de long sur 6 pieds (1,80 m) de large et 9 pieds (2,10 m) de haut ; il se trouvait à l’entrée de l’actuelle rue du Cheval Blanc et il était très emprunté car il permettait notamment aux personnes venant chercher au port Saint-Jacques des denrées ou des produits pour le Loudunois de rejoindre le pont à nonnain.
Plan 19ème avec annotations PmD
Quand ce pont fut remplacé par une digue en 1760, les anciennes murailles furent remplacées par des digues ; celle du côté est devint l’actuelle rue du Raineau ; le petit pont disparut et les eaux du petit ruisseau, n’ayant plus de débouché, devinrent stagnantes et nauséabondes, au grand détriment des habitants du quartier, qui s’en plaignirent jusqu’à ce que, 100 plus tard (!), le fossé fût comblé, en 1862 ou 1863.
- Vues : 87